Le titre de cet article évoque lEurope. Je dois tout de suite préciser que lorsque je parle de lEurope, je ne me limite pas à lUnion européenne. Je pense à la totalité de cette partie du monde qui est la nôtre, cette partie du monde dans laquelle la diversité des langues engendre une multitude de problèmes. Problèmes linguistiques. Les problèmes linguistiques sont très divers. Pensez aux réfugiés, ces gens qui demandent lasile politique. Combien dentre eux parviennent à se repérer facilement avec la langue de la région quils ont finalement atteinte ? Quant aux problèmes rencontrés par les dirigeants de sociétés, parlons-en car ils sont légion ! Le directeur dune entreprise moyenne peut rater un contrat très intéressant car la qualité de son anglais ne se situe pas au niveau requis pour soutenir une négociation délicate et fatigante nerveusement avec un partenaire japonais ou saoudien. Et que dire des problèmes que rencontre laviation ? Daprès une étude faite par Boeing, 11 pour cent au moins des accidents mortels de laviation sont dus à une incompréhension entre le pilote de lavion et la tour de contrôle. Humiliation et peur. Les problèmes linguistiques se présentent en tous lieux ils touchent les domaines politique, économique, social, culturel, pédagogique et psychologique et chacun deux comporte de multiples subdivisions. Par exemple, il nest pas possible de traiter sérieusement laspect psychologique de ces problèmes si on nen distingue pas les domaines sentimentaux, intellectuels et neuropsychologiques. Dun point de vue sentimental, émotionnel, il faut tenir compte du fait quune langue est liée à notre sentiment dappartenir à une identité. Nous nous identifions à notre langue. Attaquer notre langue ou lui donner un statut inférieur, cest nous attaquer ou nous humilier. Quand on passe à une autre langue notre personnalité peut se modifier. Comme disait en son temps à la télévision néerlandaise M. Winkel, le maire de Noordwijkerhout: Même si on a bien appris langlais, ce qui est souvent le cas aux Pays-Bas, on hésite à lutiliser en présence dun groupe international, car dans cette situation on a peur. On a peur de ne pas réussir à dire exactement ce quon veut dire, peur de se tromper, peur de déclencher le rire du fait de sa propre prononciation, ou peur de ne pas se sentir suffisamment à laise dans cette langue étrangère pour pouvoir répondre du tac au tac à un anglophone de naissance avec toute la force qui conviendrait
Javais été très touché par cette phrase quun délégué japonais mavait dite un jour, lors dune réunion de lOrganisation Mondiale de la Santé : Quand vous parlez une langue étrangère vous paraissez moins intelligent que ce que vous êtes. À côté de tous ces facteurs qui appartiennent aux différentes disciplines mentionnées plus haut, il y a des problèmes tout simplement pratiques. Un jour, jai acheté une cafetière électrique programmable et, dans la partie du mode demploi rédigée en français jai lu cet avertissement écrit en lettres capitales; Attention, il ne faut jamais mettre de leau chaude dans lappareil ! Mais en vis-à-vis se trouvait la version italienne du texte qui, elle, affirmait, et sur la même ligne : Prenez-garde de ne jamais verser de leau froide dans le réservoir ! Mais que faut-il donc faire ? Les problèmes sont très divers. Les problèmes linguistiques sont compliqués non seulement parce quils sont pour ainsi dire, différents dans le sens horizontal ce qui signifie quils apparaissent en diverses occasions de la vie mais en outre par le fait quils sont différents également dun point de vue vertical : ils touchent plusieurs niveaux, par exemple le niveau des institutions internationales, celui des gouvernements des États et celui des citoyens. Pour ce qui concerne les institutions, il y a tant de problèmes. Prenons par exemple lEurope. Alors quelle est en cours de construction, elle est confrontée à un terrible dilemme du fait de ladhésion des nouveaux États membres. La priorité doit-elle être donnée à la démocratie, et dans ce cas doit-on sintroduire dans ce terrible labyrinthe économique et financier, aux multiples complications pratiques, comme par exemple la nécessité dinstaller des circuits audio- et microphoniques pour 380 combinaisons linguistiques, ou alors, sous prétexte dune saine sagesse économique, doit-on choisir de préférence un système dans lequel certaines langues sont (seraient) plus égales que dautres, comme aurait dit Orwell? Beaucoup dindicateurs laissent à penser que dans les hautes instances on envisage, sans avoir le courage de le dire ouvertement, que la solution cest de ne pas (plus) accepter une autre langue que langlais comme outil de communication entre les différents éléments de lUnion européenne. Cest ainsi que langlais est la seule langue autorisée lors des négociations avec les pays candidats de lEurope de lEst. Que cette manière dimposer une langue signifiât pour des pays comme la Slovénie, la Slovaquie ou la Lituanie lobligation de se trouver dès le début dans une situation inférieure, ne sembla pas gêner le petit confort des grands. En imposant cette manière dagir, ces derniers transmettaient le message suivant: Vous êtes les demandeurs, et nous sommes les plus forts, cest à vous de vous adapter. Comme la langue de communication traditionnelle en Europe de lEst cest lallemand et non langlais, ces États ont dû, lors des négociations, choisir leurs représentants daprès leur niveau en anglais et non en fonction de leur parfaite connaissance de tel ou tel dossier. En fait, un régime dans lequel langlais serait le seul moyen de communication serait profondément injuste pour la plupart des États, et donc des peuples, sans parler du fait que le pays le plus favorisé est précisément celui qui dordinaire se montre le moins européen et le moins solidaire des autres membres de lUnion. La langue, cest une arme. Vous pensez peut-être que jexagère en disant le pays le plus favorisé. Mais jai assisté à suffisamment de tractations entre États pour pouvoir vous garantir quil sagit effectivement de quelque chose de bien réel. Un jour, lors dune assemblée mondiale des Organisations non gouvernementales en relation avec lONU, jai représenté une ONG, Il y avait là des représentants du monde entier. En théorie il y avait deux langues de travail, langlais et le français. Jai noté avec soin la langue utilisée par chaque intervenant ainsi que sa langue maternelle. Quatre-vingt douze pour cent des interventions furent en anglais, et 87 pour cent des intervenants avaient langlais comme langue maternelle. Nous venions de partout, du Moyen-Orient, dAmérique Latine, de lEurope de lEst, dAsie, et dAfrique. Mais les discussions ne se déroulaient quentre Britanniques, États-uniens, Irlandais et Australiens. Quand jai fait remarqué cela à ma voisine, elle ma répondu : La plupart des associations choisissent des locuteurs anglophones pour les représenter, afin d être certaines que leurs intérêts seront bien défendus. Voilà bien la preuve quune langue, cest une arme. Une négociation internationale, cest comme une rencontre de tennis de table. Si je négocie avec un locuteur anglophone, cest comme sil avait le droit de jouer avec sa main droite, celle quil utilise en permanence, alors que moi, qui suis droitier, je devrais utiliser ma main gauche, ce qui réduirait réduit considérablement ma dextérité, mon aptitude à renvoyer convenablement la balle, et mes chances de victoire. Dans le monde sportif cela déclencherait une vraie tempête, ce serait un tollé. Pourtant personne na pris conscience que cest ainsi que les affaires se traitent dans la vie internationale. De nouveau, vous trouvez peut-être que jexagère en comparant le fait de sexprimer dans une langue étrangère avec lobligation de ne pas utiliser sa main habituelle. Pourtant la comparaison est tout à fait juste. Pour parler couramment une langue, notre cerveau doit emmagasiner des centaines de milliers de réflexes. Une langue, cest un entrelacement complexe de programmes (au sens informatique du terme), dont le fonctionnement est inhibé en permanence par des centaines de milliers de sous-programmes qui vont dans dautres directions. Nous nen sommes pas conscients car lacquisition de notre langue maternelle sest faite inconsciemment, à lâge où rien ne nous permettait de suspecter lamplitude du travail effectué par nos circuits neuronaux. Nous avons donc oublié le travail gigantesque quils ont effectué quand nous avons acquis tous les gestes de la vie quotidienne. Mais un droitier le constate très vite lorsque son bras droit est fracturé : lindividu dégourdi quil était se retrouve malhabile. Et cela nous le percevons aussi lorsque nous voyons avec quelle peine un petit enfant noue ses lacets, alors que nous faisons cela en deux secondes à peine. Pour nous exprimer correctement nous devons sans cesse bloquer les voies naturelles neuropsychologiques. Par exemple, pour exprimer en français lidée de ce qui ne peut pas être résolu, le mouvement spontané du cerveau conduit à irrésolvable. Mais ce mot nest pas correct ; il faut barrer cette voie et installer la déviation qui conduit à la forme correcte insoluble. En anglais, un mouvement naturel conduit à I comed, the sheeps, he knowed, mais ces formes doivent être éliminées du stock cérébral et remplacées par I came, the sheep, he knew. Je pourrais citer des milliers dexemples. Linflux nerveux ne peut suivre son appétence naturelle qui le pousse à exprimer des concepts parallèles par des formules parallèles. Nous avons une tendance naturelle à généraliser chaque trait de la langue. Tous les enfants francophones disent plus bon au lieu de la forme correcte meilleur, tous les petits anglophones disent foots au lieu de feet : ils généralisent la forme la plus souvent rencontrée, telle quon la trouve en français, en plus beau, plus fort, plus petit, en anglais, en hands, toys, books, etc. Apprendre une langue consiste donc à se débarrasser des réflexes acquis dans la langue maternelle et à se remettre dans le cerveau toute une série de réflexes différents, et plus tard à inhiber une forte proportion de ces derniers pour en arriver à la forme correcte qui soppose à la tendance spontanée à (tout) généraliser. En anglais, par exemple, le premier mouvement de linflux nerveux conduit à he comed, mais peu à peu lenfant, consciemment ou inconsciemment, barre cette voie naturelle, met ici un panneau annonçant quil est interdit daller dans cette direction, et indique la déviation qui conduit à la forme juste he came. Apprendre une langue consiste donc à empiler des réflexes les uns sur les autres par couches successives. Jemploie le mot réflexe, car il ne suffit pas davoir compris et mémorisé les formes. Si vous devez réfléchir, cest-à-dire feuilleter toutes les fiches de votre esprit et ordonner des dossiers dans votre mémoire pour parvenir à trouver le mot juste, vous ne pouvez pas parler couramment. Le régime de lUnion européenne est privilégié. Mais revenons au régime linguistique de lUnion européenne. Certains pensent que la seule façon de régler le problème des langues est den limiter le nombre à trois seulement (et pas davantage), par exemple langlais, le français et lallemand. Cela ne rendrait pas pour autant le système plus démocratique. Le seul résultat serait quun peu plus dÉtats jouiraient dun privilège. Il est vrai quil existe un système qui rendrait lutilisation dun nombre admissible de langues sans en privilégier aucune. Ce serait daccepter, par exemple, les trois langues mentionnées plus haut, mais avec la condition que nul nait le droit dutiliser sa propre langue maternelle, quil soit délégué, représentant de lÉtat, négociateur, rédacteur de document ou participant dun débat politique ou technique,. Si les représentants britanniques devaient sexprimer en français ou en allemand, les francophones en allemand ou en anglais, ils prendraient conscience de ce quils imposent aux Tchèques, aux Finnois, aux Portugais, aux Hongrois et aux autres. Ils découvriraient par eux-mêmes ce que cela signifie dêtre obligé de renoncer à son mode dexpression quotidien pour sadapter à une toute autre manière de sexprimer. Mais chaque fois que jai proposé cette solution, on ma objecté que je nétais pas réaliste. Pourquoi donc ? Car me répond-on, les Britanniques et les Français ne laccepteront jamais. Eh voilà, nous nous retrouvons dans la même situation que lors des négociations avec les pays de lEurope de lEst. Il y a deux groupes : ceux qui ont le droit dexiger et ceux qui ne peuvent que se soumettre. Les premiers, qui jouissent de pouvoir se sentir comme à la maison, avec leur langue, avec une aisance à cent pour cent, nacceptent pas de se voir diminués à une aisance de 75 ou 50 pour cent. Ils veulent conserver cent pour cent de leur pouvoir. Si cest ainsi, est-il possible de dire quon fonde lEurope sur les principes qui sont à la base de notre civilisation : légalité, la démocratie et le respect de lautre ? LUnion européenne se trouve donc devant une alternative : faut-il choisir la démocratie ou bien lopportunisme économique et pratique. Il est clair quelle ne cherche pas une (la) troisième voie et que, dans les esprits de la clique dirigeante il est tout aussi évident que la rationalité pratique et économique passe avant la démocratie. Sommes-nous vraiment des gens normaux ? Nous devons passer maintenant au niveau des citoyens. Comme de plus en plus de gens trouvent un emploi dans une région ou un pays où on parle une autre langue et, par le fait que se multiplient les déplacements des masses, les voyages daffaires et le tourisme international, le nombre de personnes confrontées à des problèmes dus à la diversité linguistique augmente constamment. Un autre aspect du problème est très important et souvent mentionné dans les discours. Cest un aspect au sujet duquel la pratique en politique se situe à des kilomètres des belles formules politiciennes : il sagit de la culture. On ne cesse de proclamer que la diversité linguistique est une richesse très importante et quil faut la préserver par tous les moyens. Par exemple, « chaque Européen devrait connaître trois langues », est le type dexhortation que lon nous répète très souvent. Ces discours sont toujours prononcés sur le ton on doit, il faut que, il ny a quà
Mais en pratique quest ce qui se passe ? Tout est fait pour que la plupart des gens concentrent toutes leurs forces vers une langue unique : langlais. Cela se présente, notamment dans le domaine de lenseignement public. Langlais est la première langue étrangère apprise par 92 % des jeunes en âge de fréquenter lécole. Si on exclut quelques pays européens bilingues ou plurilingues, comme la Finlande et la Suisse, où on enseigne dès le début une autre langue du pays, la proportion atteint 99 % (en fait même une grande partie de la Suisse orientale vient de passer à langlais comme première langue). Par ses messages publicitaires et ses moyens de communication de masse, notre société exerce une pression semblable en diffusant des assertions trompeuses sous forme de slogans tels que : Avec langlais on se débrouille partout dans le monde, Les séjours linguistiques organisés par lentreprise Tartempion dans un pays de langue anglaise vous permettront daméliorer votre situation professionnelle, Apprenez langlais en trois mois avec le cours Machin. Ces messages, malhonnêtes, trompeurs font partie de notre vie quotidienne à un point tel que nous ne les remarquons même plus. Ici ou là, le système est même plus brutal encore et nhésite pas à employer des manuvres psychologiques, comme cette annonce aperçue un jour à la Foire des Langues de Genève : vous navez plus dexcuses si vous ne savez pas parler langlais (sous-entendu : dépêchez-vous de corriger cette anomalie en vous inscrivant à notre cours selon la méthode X). La phrase a de leffet, comme en aurait quelquun dimportant sil disait à son lecteur : vous êtes un être anormal, vous êtes inférieur, vous êtes un pauvre primitif, tout le monde parle langlais, sauf vous. Et pourtant ce nest pas vrai du tout. Lentreprise de recrutement Michael Page a contrôlé en Europe le niveau en anglais de plus de 40 000 personnes, candidates à des postes dencadrement dans des entreprises. Ce sont ces dernières qui avaient auparavant commandé cette étude. Seules 4 pour cent des candidats furent capables de sexprimer correctement en anglais. Daprès un sondage effectué par Lintas Worldwide dans les pays de lUnion européenne, 94 pour cent des personnes interrogées se sont révélées incapables de bien comprendre trois petits textes extraits de langlais courant. Faire croire à quelquun, quil (ou elle) est anormal alors quil sagit dune situation rencontrée chez 94 pour cent de la population est cependant un peu exagéré, nest-ce pas ? Mais personne ne dit rien. De même, personne ne proteste contre les publicités qui affirment quil est possible dapprendre une langue en trois mois, bien que les réflexes qui conditionnent la maîtrise dune langue se comptent par millions ou aux alentours du million selon la langue. Vous tous, qui avez appris une langue étrangère, vous savez bien à quelle vitesse on en perd la maîtrise si on cesse de la pratiquer pendant quelques années. Pourquoi ? Parce que les réflexes conditionnés ne sont pas stables, ils doivent être entretenus en permanence, et quand vous cessez dutiliser une langue vous cessez de leur procurer le renouvellement qui leur est nécessaire. Automatiquement ces réflexes se désagrègent et sévanouissent. Est-il possible dapprendre langlais ? Dans notre société qui se mondialise, des millions et des millions de jeunes font des efforts considérables pour conquérir la langue anglaise, mais plus ils se donnent du mal et moins ils sapprochent du but. À une époque où le rendement est le critère de base, à un point tel que beaucoup dentreprises réduisent leur personnel au nom de ce critère, comment est-il (est-ce) possible que personne ne pose la question de la rationalité de cette manière de fonctionner ? Cette étude de la langue présente bien en elle-même un investissement collectif en énergie cérébrale dune ampleur gigantesque. Et avec quels résultats ? Au niveau du baccalauréat, un étudiant sur cent en Europe, un sur mille en Asie, est plus ou moins capable dutiliser correctement langlais quil a étudié à lécole. Quand des ministres constatent ces résultats qui sont lamentables, ils critiquent les méthodes, les enseignants, le nombre dheures détude. Ils refusent de regarder en face un fait qui est objectif, à savoir que lacquisition dune langue nationale jusquau niveau nécessaire pour pouvoir la pratiquer normalement ou pour sexprimer en public sans risquer dêtre lobjet de moqueries est impossible si on se limite à lenseignement donné à lécole. Cet enseignement procure au maximum de 1200 à 1500 heures de contact avec la langue. Or, daprès une étude que jai réalisée, seules les personnes en contact avec la langue pendant 10 000 heures sont dun niveau égal à celui des locuteurs natifs. Autrement dit, hormis les personnes qui ont acquis une pratique quotidienne de langlais dans leur vie professionnelle, il ny a que celles qui ont fait des séjours pendant plusieurs années dans un pays anglophone, en poursuivant sur place leurs études universitaires quand cétait possible, qui maîtrisent vraiment cette langue. Comme ces séjours coûtent très cher, il se crée une fracture au sein de la société entre ceux qui peuvent se les offrir et ceux qui ne (le) peuvent pas. Ainsi, une maîtrise imparfaite de langlais est fréquente chez des gens, qui pourtant lui ont consacré quatre ou cinq heures par semaine, sans compter le travail fait à la maison, pendant les six ou sept ans que dure lécole. Dans une lettre, quun jeune ma demandé de corriger il ny a pas si longtemps, jai trouvé la phrase : I will eventually do as you say. Il voulait dire peut-être que je ferai ce que vous mavez dit, je ferai éventuellement ce que vous avez dit, mais en fait il a dit : au bout du compte je ferai ce que vous avez dit. Et la différence est importante. Aussi importante que la bourde de Madame Helle Degn, la ministre du Danemark, qui, un jour quelle présidait une réunion internationale, avait voulu dire, : Pardonnez moi si je ne connais pas bien la question, je viens juste dêtre nommée ministre, et en fait elle a dit : Im at the beginning of my period, ce qui signifie cest le premier jour de mes règles. Beaucoup de mots anglais ont (en effet) un autre sens que le mot similaire dans les autres langues européennes. Comparer ce qui est comparable. Jen viens maintenant au rôle des États. Daprès moi, ils évitent de prendre leurs responsabilités dans le domaine linguistique. Si La diversité des langues est une richesse quil faut préserver, il serait opportun de se débarrasser des complications quelle produit dans la vie en pratique. Il faut donc chercher une solution qui respecte ces deux valeurs conflictuelles. Mais la réponse ne peut pas être trouvée si on ne sest pas auparavant attaqué à cette question. Or, aucun État na le courage de formuler la question suivante : Dans le domaine de la communication linguistique, quest ce qui est de lintérêt de tous ? Et ils sont encore moins courageux pour explorer en toute objectivité ce qui est du domaine du possible. Pour connaître une réalité il faut comparer. Vous ne connaissez pas la notion de longueur si vous ne comparez pas lobjet à mesurer à une unité de mesure définie, par exemple le mètre. Dans lexploration agronomique, on sème le nouveau grain sur la moitié dune parcelle et lancien sur lautre moitié. On sait que la terre est identique de part et dautre, que les deux parcelles ont été soumises aux mêmes conditions météorologiques. Si donc la récolte est meilleure dans une des deux moitiés, on saura quel est le grain qui procure le meilleur rendement. Après avoir mis au point un nouveau médicament, on ne le met pas sur le marché sans procéder en premier à ce quon appelle des tests cliniques, ce qui veut dire quon le compare à un médicament dont lefficacité est connue ou à une substance inerte (un placebo). Et quand on a lintention de réaliser de grands travaux de construction, on lance des appels doffres dans le but de recevoir plusieurs projets et de les comparer les uns aux autres. Si on considère que cest la pratique normale dans toutes sortes de domaines, il est incroyable quaucun État nait dit : Nous investissons des sommes considérables dans lenseignement de langlais, comme du reste, dans la traduction et linterprétation. Pour savoir si cest la manière de faire qui saccorde le mieux avec les intérêts de nos populations, nous devons la comparer à des systèmes concurrents. Je me trompe peut-être, mais je pense que je suis le seul à avoir comparé dans les faits les diverses organisations/ systèmes linguistiques utilisées dans les échanges de haut niveau, et à avoir publié les résultats. Jai bien dit de haut niveau, car la comparaison au niveau élémentaire est difficile. Je nai pas inclus dans mes explorations la communication par gestes ou le balbutiement dune langue mal maîtrisée, ce qui constitue souvent les seuls moyens dont disposent les gens ordinaires. Je nai tenu compte que des systèmes appliqués dans les niveaux élevés intellectuellement, cest-à-dire lors dune négociation quelle soit commerciale ou entre États, ou au niveau dune assemblée politique, dun congrès réunissant des gens compétents, ou dun groupe de travail international, etc. À ce niveau il nexiste que cinq systèmes dans le monde. Les voici daprès leur fréquence dutilisation dans le monde : Le système plurilingue : on nutilise que quelques langues, avec une traduction écrite ou orale ; cest le système utilisé aux Nations Unies et dans les organisations qui lui sont liées, tout comme dans de nombreux congrès internationaux ; Le système unilingue : il est utilisé par de nombreuses multinationales et dans un grand nombre de réunions internationales : on nutilise quune seule langue, en général langlais ; Le système multilingue, utilisé au sein de lUnion européenne : les langues de tous les participants sont acceptées, avec traduction orale et écrite ; Le système langue neutre : on nutilise quune seule langue ; mais elle nest la langue daucun peuple ; cest le latin, lespéranto ; Et enfin, Ce quon appelle le système suisse ou scandinave : chacun utilise sa propre langue, mais il ny a pas de traduction car chaque participant comprend la langue des autres. Cest le système utilisé dans la compagnie aérienne SAS ; en Suisse aussi il est fréquemment utilisé, notamment au Parlement où, dans les commissions chacun parle allemand, français ou italien, et chacun est supposé comprendre les trois langues. Je ne tiendrai pas compte ici de ce cinquième système car il nest pas vraiment applicable si on utilise plus de trois langues, mais aussi parce quil nécessite une ambiance culturelle et un système denseignement qui sont des exceptions dans le monde. Les quatre autres systèmes, je les ai comparés selon toute une série de critères. Les résultats apparaissent dans le tableau ci-dessous. Notez bien que ce dernier nintègre un inconvénient que sil existe (1) ou sil est absent (0) dans le système linguistique concerné. Cétait la seule manière pour pouvoir utiliser des données fiables. Système : plurilingue unilingue multilingue langue neutre a) durée dapprentissage préalable 1 1 0 1 (pour les participants) b) investissement préalable des États 1 1 0 1 (enseignement des langues) c) investissement préalable 1 0 1 0 de lorganisme (services linguistiques) d) inégalité ou discrimination 1 1 0 0 e) coût de linterprétation en séance 1 0 1 0 f) coût de la production de documents 1 0 1 0 g) temps nécessaire pour recevoir 1 0 1 0 la documentation traduite dans sa langue h) déperdition ou distorsion 1 1 1 0 de linformation i) importance du handicap linguistique 1 1 0 1 au cours dune réunion j) difficulté de compréhension à la lecture 1 1 0 1 k) agacement ou gêne en séance 1 1 1 0 (par exemple nécessité de disposer de cabines dinterprétation, obligation dutiliser des écouteurs) l) augmentation probable des inconvénients 1 0 1 0 au cours des vingt prochaines années Niveau total des inconvénients 12 7 7 4 Le système le plus efficace. Vous comprenez pourquoi je dis que les États ne prennent pas au sérieux leurs responsabilités. Il est clair que lespéranto représente le meilleur système ou si vous préférez, le moins mauvais. Cependant, mon calcul est erroné, du moins en partie, en ce qui concerne ce système. Par exemple, le premier point, durée dapprentissage préalable pour les participants, traite de manière égale tous les événements dans lesquels une partie au moins des participants a dû auparavant apprendre une langue étrangère. Ce mode de calcul ne prend pas en considération le fait quen moyenne pour un même nombre dheures dapprentissage par semaine, six mois despéranto procurent une capacité dexpression équivalente à celle obtenue après six années détude dune autre langue. De même, pour ce qui concerne le critère i) importance du handicap linguistique au cours dune réunion : il laisse de côté le fait que lespéranto est pour tous bien plus facile à prononcer quune langue comme langlais, et quà loreille il est considérablement plus clair et, par conséquent, plus compréhensible. Si on considère le fait, facilement contrôlable, que parmi tous les moyens utilisés par les hommes pour surmonter les barrières linguistiques, cest lespéranto qui apporte la meilleure efficacité, eu égard à son coût et à la rapidité de son apprentissage, il est incontestable que les gouvernements agissent comme si lespéranto nexistait pas. Si au moins ils disaient : Nous avons étudié avec objectivité la question, nous avons comparé lespéranto en tant que moyen de communication entre les hommes de divers pays avec les autres systèmes utilisés, et nous avons conclu à la suite de cette expérimentation que lespéranto était inférieur aux autres méthodes selon tel et tel autre point, ce serait acceptable. Mais aucun gouvernement na exploré laffaire. On rejette lespéranto, ou plus précisément, on refuse de poser la question qui amènerait peut-être lespéranto comme seule réponse satisfaisante, et toujours avec un a priori. On accuse lespéranto dêtre idiot, fantaisiste ou pas sérieux, et on le condamne à rester en dehors de la vie relationnelle des citoyens. Mais est-ce bien normal daccuser et de condamner sans avoir enquêté, sans avoir recueilli des informations, sans avoir étudié les faits et darriver à un tel degré de certitude ? Cette façon dagir ressemble à celle dun jury qui éliminerait un étudiant sans avoir pris la peine de sintéresser à ses études, davoir lu ses travaux et sans avoir jeté un coup dil sur son livret scolaire. Prétendre construire lEurope sur la base dun comportement à ce point opposé aux principes démocratiques et avec un tel mépris des principes de lobjectivité et du contrôle des faits toujours appliqués dans le droit et dans le domaine scientifique augure très mal de lavenir de cette partie du monde qui est la nôtre. Un médicament bon-marché. Le fait que les États sexonèrent ainsi de leurs responsabilités est dautant moins pardonnable quils nauraient pas grand-chose à faire en pratique, et même, cest tout juste sils auraient à dépenser un sou dans cette affaire. Ce manque très fréquent de compréhension réciproque entre les hommes peut être assimilé à une maladie sociale, du fait des nombreuses caractérisations du fonctionnement de la communication linguistique dans notre monde actuel. Vis-à-vis de cette maladie, lespéranto se présente comme un remède efficace et dun très bon prix. En dautres termes, les États sont dans la situation dun ministre de la santé publique qui, face à une épidémie en fait une endémie refuserait de recommander aux malades un médicament adapté et très bon marché, et interdirait que les fonctionnaires entreprennent des expérimentations cliniques pour définir comment est ce médicament par comparaison avec les autres méthodes quon emploie dordinaire pour traiter la maladie en question. Cest non seulement immoral, non seulement du masochisme, mais cest idiot. Jai dit que les États pourraient aider à résoudre le problème en agissant à peine, et pratiquement sans dépenser un sou. Cette assertion vraisemblablement vous a paru incroyable. Je pense pourtant quelle est le reflet de la vérité. Ce que les États devraient faire, ce serait tout simplement de proclamer la réalité. Il ne serait pas nécessaire quils organisassent un enseignement généralisé de lespéranto. Mais quils disent à leurs concitoyens : Nous avons étudié cette question. Lespéranto peut résoudre les problèmes causés par la diversité linguistique, après une période dapprentissage relativement courte, sans désavantager quiconque, politiquement ou culturellement, (par opposition avec ce qui se passe avec langlais). Par conséquent, nous recommandons à tous nos compatriotes dapprendre lespéranto. Dans peu de temps, ils pourront communiquer au-delà des barrières linguistiques par le système psychologiquement le plus agréable parmi tous ceux qui existent et par loutil de communication le plus rapidement maîtrisable. Vous verriez toutes les entreprises qui proposent actuellement des cours de langues proposer des cours despéranto. Des stations de radio et de télévision présenteraient ce genre de cours, chaque jour, pendant quelques minutes. Les parents exigeraient que les écoles organisent des cours despéranto et les écoles les proposeraient dans le cadre des activités facultatives à côté du judo, de la flûte ou de lart de faire du macramé. Beaucoup de gens se mettraient à lapprendre deux-mêmes, soit avec des manuels, soit par lun ou lautre des nombreux cours existant sur Internet, soit en cours organisés par les associations espérantistes locales. Peu de temps après, les Européens seraient capables de se comprendre au moyen dune langue humoristique, riche et précise, à la pratique agréable et qui respecte mieux que toute autre les fonctions naturelles dun cerveau désireux de sexprimer, et ils lacquerraient sans dépenser plus dénergie nerveuse que ce que beaucoup investissent chaque jour dans les énigmes des mots croisés. Jespère ne pas vous choquer quand je vous aurai dis que jai rencontré une personne qui a étudié lespéranto dans les toilettes en ne lui consacrant que quelques minutes matin et soir, et, quatre mois après, elle sexprimait déjà très bien. Alors, non seulement les Européens se comprendraient les uns avec les autres, mais ils découvriraient aussi quil existe des gens au Japon, en Corée, en Mongolie, en Chine, en Iran, en Russie, au Congo, au Brésil, en fait presque partout, qui connaissent la langue et qui sont prêts à discuter avec eux, soit directement, soit par message Internet. Sincèrement, est-ce quun tel résultat aussi extraordinaire ne serait pas digne dêtre recherché, si on veut bien considérer quen pratique il nexigerait rien des administrations étatiques sauf à effectuer un contrôle très facile des faits suivi dune déclaration solennelle, répétée autant de fois que nécessaire par les médias de masse pour que son message pénètre dans les esprits ? Une fois que les problèmes de langues chez les gens ordinaires auraient disparu grâce à lespéranto, les hauts fonctionnaires des institutions européennes, constatant le changement, se demanderaient sil ne serait pas opportun quils adoptassent à leur tour cette solution que les populations auraient auparavant appliquée. Pour quun tel projet puisse se réaliser, quil sera peut-être nécessaire dattendre quun certain avocat dépose une plainte collective, comme on le fait aux États-Unis, pour entreprendre une action en justice contre les gouvernements et exiger du tribunal quil les condamne à une réparation des dommages endurés par les citoyens qui auront perdu une énorme quantité de temps, dargent et deffort pour acquérir la connaissance de langlais sans obtenir de résultats enthousiasmants, tout simplement parce que les États avaient refusé de les informer en toute objectivité de lexistence dun système bien plus performant, bien moins cher et bien plus rapidement accessible. Une névrose sociale : le masochisme. En devenant psychothérapeute, je suis passé dune profession linguistique à une profession psychologique. Un des constats qui mimpressionnent toujours dans ma pratique, cest que ce qui guérit, cest la réalité, ou plus précisément le fait daccepter et de reconnaître la réalité. De mon point de vue, notre société souffre dune terrible névrose basée dun côté sur une méfiance réciproque et dun autre côté sur du masochisme qui fait croire que les solutions simples ont moins de valeur que les solutions compliquées. Comme si un alphabet de 28 lettres ne pouvait pas permettre dexprimer des pensées aussi profondes quune écriture contenant des centaines de milliers dhiéroglyphes. Mais cette névrose sociale peut être soignée tout comme une névrose individuelle : par confrontation avec la réalité. Cependant, quiconque pratique la psychothérapie sait bien que pour affronter la réalité il faut souvent du courage. Pour nos dirigeants et pour beaucoup dintellectuels, lespéranto cest comme le sale crocodile terrifiant quun enfant de quatre ans imagine couché sous son lit. En fait, il ny a pas de crocodile couché là. Mais pour vous en convaincre, il vous faudrait sortir du lit et aller regarder. Ne risquez-vous pas de vous trouver nez à nez avec une épouvantable bête sauvage qui voudra vous dévorer ? Pour cette raison, cest plus facile de rester dans son lit et de ne rien contrôler, quels que soient les désavantages inhérents à cette décision qui nest pas courageuse mais typiquement humaine. Regarder les faits et comparer : voilà laction courageuse que lélite politique et intellectuelle de cette partie du monde qui est la nôtre trouve si difficile à réaliser. Que ces personnes, avec leur haute position dans la société, ne puissent pas facilement assumer un tel risque est compréhensible : elles risqueraient de constater que pendant plus dun siècle elles ont été dans lerreur. Quel est donc le potentat qui accepterait de voir ses propres erreurs et de les révéler au public ? Il nen est pas moins vrai que leur refus de regarder la réalité bien en face dans ce domaine est excessivement regrettable pour lEurope qui essaie de se construire, et dêtre démocratique. Vous pouvez trouver nos coordonnées en cliquant sur le lien Nous contacter. |