Mythes et Réalités

 

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Le pire ennemi de la vérité ce n'est pas le mensonge, mais la conviction.
(phrase prononcée lors d'une émission Campus sur France 2 par un philosophe dont le nom, hélas, nous a échappé)

 

Le lundi 15 mars 2004, sur France inter, la journaliste Patricia Martin recevait le ministre de la culture, M. Jean-Jacques Aillagon. Thème de l"émission: Quel avenir pour la langue française?

Le principe de l'émission est toujours le même: un invité vient débattre sur le thème proposé ce jour-là et les auditeurs sont appelés à se manifester. En principe, deux ou trois auditeurs peuvent intervenir.

Ce jour-là, le ministre parla de son souci de défendre la langue française et de sa volonté de préserver le multilinguisme avec des langues de cultures, des vraies langues à l'opposé de ces langues prétendument universelles comme l'espéranto, etc.

Au bout de quelques minutes, la parole fut donnée à un auditeur et voici fidèlement rapporté ci-dessous l'extrait de l'émission:

Mais si vous le souhaitez, vous pouvez entendre directement l'extrait en cliquant sur le lien.

 

Intervention de M. Jean-Jacques AILLAGON, ministre de la Culture et de la Communication , dans l'émission "Alter ego" de Patricia MARTIN sur FRANCE INTER, (le lundi 16 mars 2004), avec Bernard PIVOT, écrivain invité pour son livre "100 mots à sauver" paru chez Albin Michel.
Assistant à la réalisation : Vanina SCAGLIA
QUEL AVENIR POUR LA LANGUE FRANCAISE ?
Réalisation : Valérie AYESTARAY
Réponse du ministre à un auditeur prénommé Serge : (N.d.l.r : En caractères gras et de couleur sont mises en relief les contrevérités du ministre et de la journaliste).

PATRICIA MARTIN (ironique): Voilà, nous avons eu notre question sur l’espéranto, allons-y Jean-Jacques Aillagon, qu’est-ce qu’on peut répondre, qu’est ce que vous avez envie de dire à cet auditeur ?

JEAN-JACQUES AILLAGON :

Monsieur, je pense fondamentalement, et je crois d'ailleurs ne pas faire preuve de grande originalité en vous répondant de cette façon, qu'une langue ne peut pas être décrétée de façon artificielle. Une langue c'est une histoire, c'est l'expérience de nombreuses générations, c'est une élaboration très subtile, très complexe, d'une grammaire, d'un vocabulaire, d'une syntaxe, et je crois qu'on peut pas décréter une langue de toutes pièces. Quand on lit un texte en espéranto, on voit bien que c'est certes très sympathique, cette idée de donner à au monde entier une langue qui permettrait enfin, finalement, de revenir sur la tour de Babel et de nier l'histoire, mais cette histoire, elle est une réalité très forte, cette histoire elle n'a pas fait qu'opposer les hommes les uns aux autres, les pays les uns aux autres, les civilisations les unes aux autres, cette histoire elle nous a également enrichis. Que serait la littérature universelle si elle n'était pas faite d'une addition de littératures particulières ?

Donc je crois que, plutôt que de tenter de promouvoir de façon un peu artificielle à mes yeux, une sorte de langue parfaite qui réunirait tous les hommes, en tout cas prétendrait réunir tous les hommes, il vaut mieux défendre le principe de la pluralité, du pluralisme linguistique, y compris dans l'espace européen, faire en sorte par exemple que dans l'espace européen, on ne consente pas à l'affirmation de plus en plus fréquente d'une langue unique, d'une langue d'usage unique, mais qu'on affirme bien l'excellence du principe de la diversité linguistique.

Donc l’espéranto, c’est sympathique, mais je regrette de vous le dire aussi nettement, cela ne me convainc pas totalement parce que la langue en question est quand même une langue un peu sommaire, un peu pauvre, une sorte de rapiéçage de langues, de morceaux de langues puisés ici et là, laissons les langues dans leur réalité historique s’épanouir, et faisons en sorte que chacun puisse finalement accéder au plus grand nombre de langues possibles.
PATRICIA MARTIN : C'est peut-être pas un hasard d'ailleurs que ça n'ait pas pris, non plus, l'espéranto. Il y a eu des tentatives, et puis on voit bien que ça ne marche pas.
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Réaction de Claude PIRON, auteur de "Le défi des langues - Du gâchis au bon sens"
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Monsieur Jean-Jacques Aillagon
Ministre de la Culture et de la Communication
3, rue de Valois
75001 Paris
Gland, le 26 mars 2004

Objet: Vos propos à France-Inter

Monsieur le Ministre,

La présente lettre reprend le message que je vous ai adressé par l'Internet le 23 de ce mois. Ma première idée était de vous l'envoyer sous pli recommandé, vu ses incidences juridiques possibles, mais j'ai finalement décidé de faire confiance au courrier ordinaire. Voici le texte en question, dans une version légèrement modifiée. Dans l'émission Alter Ego (France-Inter, 16 mars ), vous avez émis au sujet de l'espéranto des affirmations contraires à la réalité telle que tout tribunal peut facilement la vérifier. Cette présentation déformée est, je suppose, illégale. Je suis loin d'être compétent en matière juridique, mais je serais très surpris si le droit à l'information inexacte, même sans l'intention de tromper, faisait partie des droits reconnus dans la République. Elle vous impose en tout cas l'obligation morale de rectifier.
J'ai publié en espéranto un recueil de poèmes, une demi-douzaine de romans, une cassette de chansons, un cours universitaire et un grand nombre de nouvelles et d'articles. Un de mes romans est utilisé à l'Université de Shanghai, un autre a longtemps fait partie des lectures imposées aux étudiants d'espéranto de San Francisco State University. N'y a-t-il pas là au moins présomption en faveur d'une certaine valeur humaine et littéraire de la langue dans laquelle ces textes ont été écrits? Cette valeur est-elle compatible avec ce que vous en dites? Il m'intéresserait de savoir d'où vous avez tiré votre information sur l'espéranto. En tout état de cause, si vous ne pouvez étayer vos jugements, vous avez le devoir de vous rétracter face au public auquel, de bonne foi, sans aucun doute, mais dans l'ignorance de votre méconnaissance du sujet, vous avez communiqué des contrevérités appuyées par toute votre autorité de Ministre de la Culture et de la Communication.
Vous avez dit: "Quand on lit un texte en espéranto". Quels textes avez-vous lus? Vous demander d'en donner des références précises (auteur, éditeur, année d'édition) serait excessif, mais vous pourriez peut-être me donner une idée du genre de textes auquel vous pensiez en prononçant ces mots. Par ailleurs, vous m'obligeriez si vous vouliez bien me dire où et quand vous avez appris l'espéranto. Comment, en effet, peut-on juger de la valeur d'un texte dans une langue qu'on n'a pas apprise? Si vous n'avez pas étudié la langue et n'avez rien lu de sa production littéraire, vous vous devez de rectifier votre affirmation, car dire: "quand on lit un texte en espéranto," c'est donner aux auditeurs l'impression qu'on en a l'expérience, donc qu'on sait de quoi on parle, qu'on est compétent. Ils ont le droit de savoir que vous vous êtes laissé emporter par votre élan, et qu'en fait vous n'aviez pas les éléments d'information voulus pour vous prononcer avec une telle assurance.
Vous avez dit: " Une langue c'est une histoire, c'est l'expérience de nombreuses générations, c'est une élaboration très subtile, très complexe, d'une grammaire, d'un vocabulaire, d'une syntaxe, et je crois qu'on ne peut pas décréter une langue de toutes pièces." En prononçant ces mots, vous donnez à comprendre que l'espéranto n'a pas connu ce processus. Par quels faits justifiez-vous que celui-ci n'a pas eu lieu? Vous rendez-vous compte, Monsieur le Ministre, que nous en sommes à la sixième génération de personnes, de familles, dont l'une des langues couramment utilisées est l'espéranto? L'analyse diachronique montre que cette "élaboration très subtile, très complexe, d'une grammaire, d'un vocabulaire, d'une syntaxe" s'est déroulée dans le cas de l'espéranto comme dans celui des autres langues vivantes.[1] Je vous mets au défi de produire des faits qui contredisent cette affirmation, ou même de me donner la référence d'un ouvrage, d'un mémoire d'étudiant ou d'un rapport de recherche qui conteste la réalité de cette lente élaboration, spontanée, collective et anonyme, qui a abouti à l'espéranto d'aujourd'hui.
Vous avez dit en outre: "Quand on lit un texte en espéranto, on voit bien que c'est certes très sympathique, cette idée de donner au monde entier une langue qui permettrait enfin, finalement, de revenir sur la tour de Babel et de nier l'histoire, mais cette histoire, elle est une réalité très forte." Où diable avez-vous pris qu'il s'agissait de revenir à la situation d'avant Babel? Dans l'histoire de Babel, il n'y avait qu'une seule langue avant que les hommes se mettent à construire la tour. Jamais l'espéranto n'a visé à revenir à un monde unilingue. Ses partisans défendent avec ferveur la diversité linguistique et la multiplicité des langues et des cultures.[2] Ils conçoivent uniquement l'espéranto comme truchement entre personnes de langues différentes, sachant par expérience qu'il remplace avantageusement le broken English auquel sont condamnés la plupart de nos contemporains dès qu'ils ont affaire à des étrangers.
Il est ironique de voir que vous reprochez aux partisans de l'espéranto de nier l'histoire, alors que c'est précisément ce que vous faites face aux auditeurs de France-Inter : vous niez la lente gestation de la langue, son accession progressive au statut de langue vivante, les innombrables ajustements mutuels qui en ont fait la seule langue au monde dont le substrat soit totalement d'ampleur mondiale. Les meubles se patinent, les villes se modifient, mais l'espéranto, à vous en croire, serait resté figé à l'état du projet de 1887 ! Heureusement, comme vous le dites à juste titre, l'histoire est une réalité très forte. L'espéranto est une langue vivante parce qu'il est le produit d'une histoire couvrant l'ensemble de la planète: 117 ans d'usage dans les circonstances les plus diverses, 117 ans de contacts, de persécutions[3], d'interactions émotionnelles et intellectuelles, de discussions sur tous les sujets, de création littéraire, d'activités de solidarité, de formation de couples, de résistance à la mauvaise foi et à la calomnie, ce n'est pas rien. C'est en passant par ce genre de vécu, comportant bon nombre d'épreuves, que naissent les cultures, y compris celle à laquelle l'espéranto a donné naissance.[4]
Poursuivant sur le thème de l'histoire, vous avez dit: "Cette histoire, elle n'a pas fait qu'opposer les hommes les uns aux autres, les pays les uns aux autres, les civilisations les unes aux autres, cette histoire elle nous a également enrichis." On ne peut que vous donner raison. Mais qu'est-ce que cela vient faire dans un débat sur l'espéranto? Qui a jamais nié que l'histoire avait opposé les civilisations, les pays et les hommes et que ces conflits, comme la plupart des conflits et tensions, avaient débouché sur un enrichissement? Je connais bien le monde de l'espéranto, où je vis depuis l'enfance, et je n'y ai jamais rencontré personne qui nie ce rôle de l'histoire. Vous semblez avoir accepté sans vérification et sans esprit critique la calomnie très répandue selon laquelle les usagers de l'espéranto croiraient que la paix dépend de la langue, ce qui revient à les assimiler à des imbéciles ou à de pauvres aveuglés, puisque cela implique qu'ils n'auraient jamais remarqué que des personnes ou des peuples de même langue pouvaient avoir de dramatiques conflits. Il est manifeste que vous avez de ce milieu une image qui n'a aucun rapport avec la réalité. Cela n'a rien d'étonnant – et c'est pourquoi je ne vous en veux pas le moins du monde – car c'est l'image que l'on retrouve chez la grande majorité des intellectuels.[5] Mais ce n'est pas parce qu'une idée est très répandue qu'elle est vraie et qu'il est sain de contribuer à sa propagation, surtout si elle est, dans ses implications, insultante. Ici aussi, une rectification s'impose.
J'ai été peiné, en tant que poète et écrivain s'exprimant en espéranto, de vous entendre dire que "la langue en question est quand même une langue un peu sommaire, un peu pauvre, une sorte de rapiéçage de langues, de morceaux de langues puisés ici et là"
. En fait, l'espéranto est moins hétérogène que l'anglais et, franchement, je ne vois pas en quoi on peut l'assimiler à un rapiéçage. L'éventail de sources auxquelles a emprunté le français n'est pas moins large. D'ailleurs, ce qui détermine l'hétérogénéité d'une composition, ce n'est pas la diversité d'origine des éléments, c'est leur manque d'harmonie et de noyau assimilateur. Diriez-vous qu'une salade niçoise est un rapiéçage d'aliments puisés ici et là? Les lois qui régissent l'assimilation des emprunts en espéranto en ont toujours assuré l'homogénéité. L'analyse linguistique le prouve, et si vous persistez à le nier, vous seriez bien aimable de m'indiquer sur quels faits vous vous appuyez.
Quant à dire que l'espéranto est sommaire et pauvre, je vous mets au défi de me le montrer en vous appuyant sur des faits. J'ai donné de nombreux exemples de sa richesse, de sa souplesse, de son adéquation à l'expression des pensées les plus profondes dans mon article "Espéranto - Le point de vue d'un écrivain", Le langage et l'homme, 1987, 22, 3, pp. 266-271, ainsi qu'au chapitre VII de mon ouvrage Le défi des langues (L'Harmattan, 1994). Traiter l'espéranto de sommaire est une insulte que rien ne justifie. Si vous maintenez ce qualificatif, veuillez me montrer, par une analyse comparative, soit de textes, soit d'enregistrements de conversations ou de débats, que l'espéranto est moins riche, moins nuancé, moins expressif, plus primaire que le français. Si vous ne le pouvez pas, vous me devez, ainsi qu'à l'ensemble des usagers de l'espéranto, des excuses publiques. Un homme d'honneur ne dénigre pas ce qu'il ne connaît pas. Et si par mégarde il l'a fait en public dans le feu de la discussion – il est humain de se laisser emporter – il s'excuse et rectifie. J'espère que vous tiendrez à vous montrer homme d'honneur.
"Faisons en sorte que chacun puisse finalement accéder au plus grand nombre de langues possible," avez-vous dit à la fin de l'échange, et cela signifiait manifestement: "c'est cela qu'il nous faut, ce n'est pas l'espéranto." Je vous engage à faire une enquête sur la corrélation entre polyglottisme et espéranto. Vous constaterez que la proportion de vrais polyglottes est plus grande parmi les personnes qui ont appris l'espéranto dans l'enfance ou la jeunesse que parmi un échantillon aléatoire de population de même niveau social. J'en suis un exemple vivant. Quand j'étais traducteur à l'ONU, nous n'étions que quatre à traduire en français à partir de l'anglais, du chinois, de l'espagnol et du russe. Sur ces quatre, trois pratiquaient l'espéranto. Et pour deux d'entre nous, c'est l'espéranto qui, appris dans l'enfance, nous avait donné le goût des langues et nous en avait énormément facilité l'acquisition. L'autre ex-collègue dans ce cas est Georges Kersaudy, auteur de Langues sans frontières (Éditions Autrement, 2001), auprès de qui vous pourrez vérifier que je dis la vérité. Si vous voulez vraiment que "chacun puisse finalement accéder au plus grand nombre de langues possible", encouragez les enfants et les jeunes à apprendre d'abord l'espéranto. Vous serez surpris de constater à quel point le contact direct avec les cultures les plus distantes motive pour apprendre les langues. Si j'ai fait un diplôme de chinois, c'est parce qu'à l'âge de quinze ans j'ai correspondu en espéranto avec un jeune Chinois qui m'a initié à sa culture.
Je suis navré, Monsieur le Ministre, de devoir vous dire toutes ces choses désagréables. Mais reconnaissez que pour quelqu'un qui connaît cet univers de l'intérieur, vos affirmations à l'emporte-pièce sont difficiles à digérer. Je dois à l'espéranto une telle part de mon bonheur, de mes amitiés, de la découverte du monde et de mon enrichissement culturel qu'il m'est réellement douloureux d'entendre des propos comme les vôtres : pourquoi, en assumant un ton d'autorité non fondé sur une réelle compétence, détourner de ce trésor des personnes qu'il pourrait intéresser si on leur en présentait une image honnête, objective? Devrais-je ajouter qu'en dissuadant les gens d'apprendre l'espéranto, comme le font vos propos, vous privez mes écrits, sans base objective, d'une part de marché? Mes textes sont en général très prisés par les nouveaux élèves. De quel droit intervenez-vous injustement dans le déploiement spontané des intérêts culturels de la population, au point de priver un auteur de lecteurs potentiels? Décidément, j'ai bien des questions à poser à un avocat.
Je suis prêt à débattre de l'espéranto en public avec vous, à France-Inter ou dans tout autre forum à votre convenance. Normalement, un avocat de la défense ne donne aucune indication à la partie adverse sur la façon dont il compte procéder, mais je serai beau joueur : les références bibliographiques citées en bas de page vous permettront de voir comment je défendrai mon point de vue. Vous pourrez ainsi préparer votre stratégie d'attaque en sachant à quoi vous attendre. Mais méfiez-vous! Je connais vraiment bien la question.
Je me réserve le droit de publier et de diffuser la présente lettre, ainsi que de l'afficher sur l'Internet. Il va sans dire que je donnerai la même diffusion, si vous me le demandez, à la réponse que vous voudrez bien m'adresser. Comme vous le voyez, je tiens à jouer franc-jeu.
J'espère que votre sens de l'éthique et de la culture vous amèneront à étudier ce qu'il en est de l'espéranto réel. Si, comme je le crois, cette étude vous convainc que vous avez parlé à la légère, je ne doute pas que vous tiendrez à assumer vos responsabilités et à expliquer au public que vous vous êtes laissé aller à des affirmations injustifiées. L'équité n'en demande pas moins.
Veuillez croire, Monsieur le Ministre, que si ma déception est grande, mon respect vous reste néanmoins totalement acquis.
Claude Piron ("nom de plume" pour certains livres: Johan Valano) ------------------------------------------------------------------------
[1] Voir mon article "A few notes on the evolution of Esperanto " in Klaus Schubert, réd., "Interlinguistics", n° 42 de la série Trends in Linguistics - Studies and Monographs; Berlin, New York: Mouton de Gruyter, 1989, pp.129-142. Ce texte, réactualisé, peut être lu sous le titre "Evolution is proof of life" à l'adresse www.geocities.com/c_piron ..
[2] Manifeste de Prague, www.esperanto.se/dok/pragman_fr.html, point 6.
[3] Ulrich Lins, Die gefährliche Sprache (Gerlingen: Bleicher, 1988) [édition en espéranto: La danĝera lingvo (même année, même éditeur, ISBN 3-88350-505-6)]. Voir également le chapitre 21 de Ivo Lapenna et al. Esperanto en Perspektivo (Rotterdam, Londres: Centre de recherche et de documentation sur les problèmes de langue, 1974).
[4] Claude Piron,"Culture et espéranto", http://www.lve-esperanto.com/bibliotheque , sous "Articles et Lettres".
[5] Je l'ai montré dans mon rapport de recherche Espéranto - L'image et la réalité (Université de Paris-8, 1987, n° 66 des Cours et études de linguistique contrastive et appliquée).

 

 

 

 

 

 

 

Pourquoi l'espéranto semble-t-il a échoué? Et d'abord a-t-il échoué?(sujet en cours de rédaction)
Avant de répondre à cette question il faut tout d'abord se demander si la perception (chez certaines personnes, ce n'est pas une perception mais une affirmation?!) d'un relatif échec, voire d'un échec total de l'espéranto, est vraiment le résultat d'une étude basée sur une analyse précise, reposant sur des faits objectifs, ou si ce n'est que la conséquence d'une absence d'information.

En d'autres termes, est ce que la personne qui se pose cette question est allée elle-même sur le terrain, dans le monde espérantophone, ou ne serait-ce pas la déduction ou répétition instinctive, immédiate et non vérifiée d'une idée reçue; la conséquence d'un manque d'information sur le sujet?
Il faut également se poser la question préalable: Est-ce bien parce que je n' entends pas (jamais?) parler de cette langue que je peux penser et ou affirmer que l'espéranto a réellement disparu?
Enfin, une question également importante, consiste à se demander à quoi pourrait bien servir dans notre monde moderne une langue construite, internationale dans sa structure comme l'est l'espéranto, et si les hommes n'auraient pas intérêt à se rapprocher au delà de la barrière des langues pour mieux s'entendre et mieux se comprendre?

Après six années de travail dans le cadre associatif (voire la page sur le projet), l'auteur de ces lignes se doit de reconnaître qu'il n'a encore jamais rencontré une personne qui lui ait dit qu'elle avait entendu parler de l'espéranto la semaine précédente. Certaines lui ont même avoué que cela faisait longtemps qu'elles n'en avait plus entendu parler. D'autres ont cru bon de retourner la question, «Mais c'est encore parlé, cette langue?» ou alors «Mais Monsieur, vous me rappelez ma jeunesse» ou bien «j'ai eu des cours d'espéranto à l'École normale» etc. Toutes ces remarques, très souvent formulées par des gens instruits, sonnent à l'oreille de l'auditeur comme relatives à quelque chose de disparu, dont on ne peut parler qu'au passé, que l'affaire est entendue: l'espéranto est une langue morte et à mettre au musée des oubliettes.

Et que dire de Madame la principale-adjointe d'un collège du sud de la France qui m'a avoué qu'elle n'avait jamais entendu parler de l'espéranto. Elle en ignorait donc jusqu'à son existence, et bien sûr cette personne fait partie des gens instruits. Pourquoi et comment en est-on arrivé là?

Bien entendu, il n'y a aucun doute là-dessus, l'espéranto est une langue vivante, parlée chaque jour sur la planète et est d'une remarquable efficacité dans le monde entier. pour qui a étudié un peu la question, les faits sont là, ils sont objectifs et têtus. Alors? Qu'est ce qui se passe?

Cette certitude est d'autant plus ancrée dans les esprits de tout un chacun que certains qui ont les honneurs des plateaux de télévision ou des studios de radio affirment la plupart du temps, soit des contre-vérités, et sur le ton qui montre bien que l'affaire est entendue et qu'il n'y a pas lieu de perdre son temps "avec ces histoires", soit que l'espéranto est une langue artificielle, construite de toutes pièces et blablabla et blablabla, tout cela est affirmé sur le ton péremptoire qui clot donc le chapitre. L'affaire est entendue, ne perdons pas de temps avec ces balivernes et parlons de choses sérieuses, voulez-vous!

En une phrase, parfois deux, l'affaire est réglée.

Vous en doutez? Voici quelques exemples:

D'autres semblent plus catégoriques: "L'espéranto, c'est une langue artificielle construite de toutes pièces" ou bien "l'espéranto, c'est un bide complet" (William Leymergie, c'est le Monsieur Télématin sur France 2 qui a prononcé cette affirmation), d'autres affirment ou croient que "c'est une secte", pendant que d'autres encore pensent que "c'est un code sans vie", que c'est une langue sans culture, ou comme Bernard-Henry Lévy qui assène que "l'espéranto, c'est le degré zéro de la culture", (phrase prononcée en juin 2001 devant Bernard Pivot lors de la dernière émission Bouillon de culture). Enfin, il y a ceux qui affirment être linguistes comme pour en imposer à leur contradicteur et qui vous sortent les mêmes affirmations voire même que "personne n'a l'espéranto comme langue maternelle" ou que "l'espéranto n'a pas de culture", voire Louis-Jean Calvet qui affirma sur France Culture que " jamais un enfant n'a chanté une comptine en espéranto"ou "on ne peut pas tout dire en espéranto" ou que "l'espéranto ne peut pas être poétique", on pourrait citer des hommes politiques par exemple Lionel Jospin qui lors de son voyage officiel en Chine en 1998 avait affirmé dans un lycée de Hong-Kong:"Nous avons tous besoin d'une langue de communication universelle, et comme ce ne sera pas l'espéranto, ce sera l'anglais". Ah bon, ce ne sera pas l'espéranto?! Lionel Jospin connaîtrait-il l'avenir? Au vu du résultat du premier tour des élections présidentielles de 2002 en ce qui le concerne, on peut être rassuré sur ce point; ses prédictions sont sujettes à caution. Ouf! Bien entendu, on peut affirmer sans crainte d'être contredit que toutes ces personnes, je dis bien toutes, n'ont jamais ouvert de leur vie un livre d'espéranto, mais elles ont un avis sur la question.

 

 

 

 

Pourquoi l'espéranto est si mal connu?
par André Cherpillod de l'Académie d'Espéranto.

l'espéranto ne dispose d'aucun soutien politique ou financier.

La publicité coûte évidemment beaucoup trop cher pour que les associations d'espérantistes puissent l'envisager sérieusement. Pour diffuser un produit, fût-il le meilleur du monde, il faut tout d'abord être riche. C'est désespérant, mais c'est ainsi. L'U.E.A. a un budget annuel d'environ 2 400 000 francs (365 9OO euros). Mais l'essentiel est affecté à la gestion et aux divers services offerts aux membres; il en reste peu pour l'information du grand public.
Quant aux Etats, ne comptons pas usr eux Tout Etat, du plus démocratique au plus totalitaire, cherche essentiellement à renforcer sa puissance. Et l'un des meileurs moyens est de tout faire pour imoser sa langue. L'attitude des Etats-unis depuis la fin de la guerre est tout à fait révélatrice à ce sujet.

D'ailleurs, l'espéranto a toujours été persécuté par les régimes autoritaires. Le régime hitlérien l'accusait d'être "la langue de la conspiration juive et des francs-maçons", tandis que Staline le considérait comme "la langue du cosmopolitisme bourgeois". L'espéranto était donc interdit et pourchassé par Hitler et par Staline. Ainsi que par Salazar et par Franco.

2- L'espéranto fait l'objet d'une désinformation sérieuse.
Le 6 octobre 1966, était déposée à l'ONU une pétition internationale en faveur de l'espéranto. Elle réunissait 920 954 signatures individuelles, dont 114 signatures de chefs d'Etat et membres de gouvernements. En plus, les signatures de 3843 organisations, représentant un total de 71 millions d'adhérents répartis dans 80 pays. Eh bien, que croyez-vous que fit l'ONU? C'est très simple: elle ne fit rien. Si: un vin d'honneur et un petit baratin poli. A côté de la volonté têtue d'un quarteron de dirigeants de la planète, les aspirations de 72 millions d'humains pèsent bien peu... Et combien de journaux, chaînes detélévision en ont parlé? Mais zéro, voyons. Ce n'était pas un scoop.
Car pour la plupart des directeurs de journaux et de chaînes de télévision,« seul compte le scoop, comme ils disent dans leur patois. Ce qui est important, c'est le chiffre du tirage pour la presse écrite, l'Audimat pour la presse parlée. Rien d'autre. En juin 1995, sur Arte, une émission de Pierre Thivolet avait trait au problème des langues en Europe: elle a consisté en une heure de bavardages stériles, avec un détour d'un quart d'heure sur le catalan, et pas un mot sur le problème annoncé par le titre. Pas un! mot d'ordre: ne pas réveiller le téléspectateur.
3-
Le «syndrome de Babel » se défend comme toute névrose.

Si quelqu'un préfère monter au sixième étage par l'escalier plutôt que par l'ascenseur, c'est son droit. Mais si une personne âgée, asthmatique ou infirme, est horrifiée à l'idée de pénétrer dans un ascenseur et se donne un mal de chien pour gravir à pied ses six étages, on dit qu'elle n'agit pas rationnellement, que son comportement est de type névrotique.
C'est exactement ce que fait la société. Pensez à ces millions d'enfants qui apprennent les langues pour un résultat nul. Pensez à ces millions de dollars qu'on dépense pour la traduction et l'interprétation, et pour un résultat au dessous du médiocre. Alors qu'un congrès espérantiste réunit deux à trois mille personnes, représentant 50 ou 60 langues maternelles, qui se comprennent de bouche à oreille, avec un coût de traduction égal à: zéro franc zéro centime. S'il s'agissait d'un particulier, on dirait qu'il est névrosé pour avoir un comportement si absurde, si ridicule, si éloigné du réel.
Pour se rendre compte que le «syndrome de Babel » est bien une névrose, il suffit de prendre conscience de ce fait. Il ne s'est jamais produit, je dis bien jamais, qu'une personne apprenne l'espéranto, se trouve ensuite dans un milieu international espérantophone, et en revienne en disant « ça ne marche pas, on ne peut pas se comprendre », ou bien « c'est un code sans vie, tout le monde s'emmerdait comme c'est pas Dieu possible ».
Cela ne s'est pas produit UNE FOIS depuis 1887, année de naissance de l'espéranto. Tous les pseudo-linguistes qui, le cul sur leur fauteuil, ont décidé que « l'espéranto ne marchait pas » n'ont pas mis les pieds une fois dans une réunion espérantiste internationale, ou même nationale ou locale. Et on peut parier qu'ils n'y mettront jamais les pieds ; sans quoi, ils seraient obligés de changer d'avis. Et chacun sait qu'une névrose, ça se défend.

 

 

 

 

 

 

Pour l'opinion générale, la lingua franca d'aujourd'hui ne peut être que l'anglais, l'espéranto est trop peu utilisé pour pouvoir prétendre à ce titre. En fait la plupart de nos contemporains ignorent même qu'il est toujours en usage.
Admettons par jeu qu'on puisse assimiler sa situation à un échec. La cause en est-elle imputable à l'absence de racines culturelles ? Non. On pourrait même facilement défendre la thèse selon laquelle, si l'espéranto se porte aussi bien à l'heure actuelle, c'est parce qu'il a réussi à trouver un terrain humain où il a pu plonger de véritables racines ; racines jeunes, certes, mais d'autant plus vigoureuses. Les personnes qui adhèrent à la collectivité espérantophone le font parce qu'elle y trouvent un climat interculturel sans équivalent ailleurs. Le type de relations y est en effet bien différent de ce qu'on peut observer dans les autres cadres internationaux. Je peux en témoigner, ayant passé une bonne partie de ma vie au sein d'organisations comme l'ONU et l'OMS. La présence d'une langue commune n'appartenant à aucun peuple et stimulant la liberté dans la façon de formuler la pensée confère à la diaspora espérantophone une atmosphère sui generis, où le respect de chaque culture est beaucoup plus sensible que dans les autres relations interculturelles. Les personnes qui se joignent à cette collectivité en tirent beaucoup de satisfactions, ce qui les encourage à utiliser la langue ; elles correspondent avec des gens de partout, organisent des voyages et des visites, prennent part à toutes sortes de rencontres, nouent de nouvelles amitiés, lisent des revues littéraires, écrivent des chansons et des poèmes, bref il y a toute une vie, en grande partie culturelle, qui se déploie du Tadjikistan à l'Amazonie, de la Finlande au Zimbabwe, de la Colombie britannique à la Réunion, cf. annuaire de l'Association universelle d'espéranto, où vous trouverez les coordonnées des représentants locaux de l'association ; voir également l'article " Who are the speakers of Espéranto ? " dans Klaus Schubert, réd., Interlinguistics, op. cit., PP. 157-172.
J'ai entrepris quelques recherches en vue d'élucider les raisons pour lesquelles l'espéranto est à ce point méconnu.
Il ressort de cette étude que les causes de sa marginalisation sont d'ordre politique, social et psychologique, non d'ordre linguistique ou culturel . Bien des États ont délibérément agi pour empêcher la valeur de l'espéranto d'être connue.
Le Secrétariat de la Société des Nations avait conclu une étude fouillée de la question en recommandant à tous les États d'organiser l'enseignement de l'espéranto dans leurs écoles (Société des Nations, l'espéranto comme langue auxiliaire internationale, Rapport du Secrétariat Général, Genève : SDN, 1922, p. 44). Je me suis plongé dans les comptes-rendus du Comité auquel la mise en œuvre de cette recommandation a été confiée, une fois le rapport adopté par la Troisième assemblée, ainsi que dans la documentation connexe. . Apparemment, un certain nombre d'États, France en tête, n'ont pas supporté l'idée que l'homme de la rue allait se trouver doté d'un moyen efficace de communication réduisant à néant la barrière des langues. Ces gouvernements ont manœuvré pour faire échouer la politique adoptée par les pays qui avaient pris nettement position en faveur de l'espéranto (Albanie, Belgique, Chine, Colombie, Finlande, Inde, Japon, Perse (Iran), Roumanie, Tchécoslovaquie et Venezuela.). Ils ont réussi à diriger le projet sur une voie de garage. Une bonne partie des éléments de désinformation généralement acceptés de nos jours ont été introduits dans la société à l'instigation de gouvernants effrayés par l'efficacité du système lancé par Zamenhof. Un autre chapitre —véritablement sinistre, celui-là — de l'histoire politique de l'espéranto est celui des persécutions, qui ont été nombreuses et, dans bien des cas, de longue durée. Si vous voulez en savoir davantage à cet égard, je vous recommande l'ouvrage de l'historien allemand Ulrich Lins «La Langue dangereuse » (Die Gefährliche Sprache, Gerlingen : Bleicher, 1988 ; des versions de cette étude ont été publiées en espéranto et en japonais, malheureusement pas en français).L'hostilité envers l'espéranto pour des raisons d'ordre politique et social stimule la calomnie, qui débouche sur une désinformation auto-entretenue. La plupart des contre-vérités et mensonges vont sans doute être lus par des milliers de lecteurs. Ils renforceront le tabou. Ils enracineront un peu plus dans les esprits l'idée qu'il n'y a aucune recherche à entreprendre au sujet de l'espéranto, que le dossier est clos et empoussiéré, et qu'être oublié est ce qui peut lui arriver de mieux. Pourquoi perdre son temps avec un « machin » qui a échoué ? Vous voyez comme la désinformation est efficace ? Les calomniateurs n'ont pas besoin de chercher des complices ; la calomnie se diffuse d'elle-même, et ce travail est fait par des personnes d'une totale honnêteté intellectuelle. Comment savoir que l'on n'a pas la compétence nécessaire pour s'exprimer, si l'on se borne à répéter ce qu'on a appris, ce que tout le monde dit dans le même milieu, ce qui, pour tous, est l'évidence même ? cette désinformation qui s'entretient d'elle même est très active. Dans les trois derniers mois, mes correspondants m'ont communiqué six mentions de l'espéranto contraires aux faits parus dans des publications à grand tirage. Et en mai dernier, le ministre français des affaires européennes, Mme Guigou, a présenté l'espéranto à un groupe d'écoliers comme une tentative avortée de remplacer les langues européennes par une langue unique.

(à suivre)

L'espéranto n'a jamais été conçu que comme truchement entre personnes étrangères, le monde de l'espéranto tient en haute estime la diversité culturelle, mais Madame le Ministre, certainement de la meilleure foi du monde, a répercuté la désinformation courante, déformant complètement un aspect de l'histoire sociolinguistique de l'humanité. Une fois qu'une série de calomnies se sont enracinées, il est très difficile de les extirper. La certitude que l'on sait tout ce qu'il y a à savoir est plus forte que la rigueur intellectuelle.
C'est dans cette désinformation que réside la principale cause de la faible diffusion de la langue de Zamenhof.
Le phénomène sociolinguistique " espéranto " ne peut être découvert par les sources habituelles d'information : école, conversations, livres et médias, puisque, dans leur grande majorité, ces sources l'ignorent ou en donnent une image gravement déformée. Dépourvue de personnalité juridique, une langue ne peut se défendre quand on la calomnie. Sa diffusion est donc limitée aux contacts individuels ; on apprend l'espéranto parce qu'on a vu à quel point il fonctionnait bien : il faut que le hasard mette en contact avec des espérantophones et que l'intéressé ait l'esprit assez ouvert pour remettre en question les préjugés dont la désinformation courante lui a meublé l'esprit. Dans ces conditions, le fait que l'espéranto se soit répandu dans toutes les parties du monde et la plupart des milieux sociaux représente un succès impressionnant, surtout si l'on considère l'énorme battage fait dans notre société en faveur de l'anglais, tenu par la plupart pour le seul moyen raisonnable de communication entre personnes de langues différentes. Il est douteux que vous puissiez facilement me croire quand je vous dis que l'espéranto s'est répandu sur tous les continents et dans la plupart des milieux sociaux, mais un exemple facile à vérifier pourrait peut-être entamer votre scepticisme : je vous propose de vous mettre en rapport avec M.P. Kiliinda Mutumbi, Secrétaire du club d'espéranto d'un camp de réfugiés de Tanzanie : voilà un endroit où l'espéranto sert de lingua franca entre Africains d'ethnies et de langues très diverses.

 

 

(sujet en cours de rédaction)

   

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